Articles « papier » de La Montagne du 3 avril 2020 « L’Auvergne face au coronavirus »
Article web La Montagne du 1er avril 2020 sur le « Confinement au FAM L’Eglantine. » :
Comme l’ensemble de la population française, les résidents du foyer d’accueil médicalisé L’Églantine, à Prémilhat (Allier), sont confinés pour lutter contre la propagation du coronavirus. Un confinement difficilement vécu par ces adultes handicapés mentaux.
Comme l’ensemble de la population française, les résidents du foyer d’accueil médicalisé L’Églantine, à Prémilhat (Allier), sont confinés pour lutter contre la propagation du coronavirus. Un confinement difficilement vécu par ces adultes handicapés mentaux.
Depuis le début du confinement, mardi 17 mars, les établissements accueillant des personnes handicapées doivent s’adapter et faire face, au quotidien, à de nombreuses difficultés.
L’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales, et de leurs amis (Unapei) Pays d’Allier, gère différentes structures dans le département. Parmi elles, le foyer d’accueil médicalisé L’Églantine, à Prémilhat, qui accueille actuellement cinquante-trois adultes, de 30 ans à près de 70 ans, handicapés mentaux, trisomiques, autistes ou encore atteints de schizophrénie.
Sébastien Grau, psychologue de ce foyer, témoigne du bouleversement que vivent les résidents :
Comment les patients vivent-ils le confinement ?
« Tout va dépendre du profil des personnes et de leur déficience intellectuelle. Celles pour qui c’est le plus compliqué pour l’instant sont celles qui ont l’habitude de partir dans leur famille, les week-ends ou lors de séjours réguliers.
Certains ont le matériel cognitif pour comprendre mais d’autres n’ont pas la capacité d’abstraction nécessaire, c’est-à-dire de comprendre quelque chose d’invisible. Et ils nous voient venir travailler, prendre notre voiture… Ils ne comprennent donc pas pourquoi, eux, ne peuvent pas aller dans leur famille.
L’annulation des séjours en famille, souvent très ritualisés, provoque donc un mal-être, de la frustration et du stress.
Et puis, il y en a qui n’ont plus du tout de famille mais qui avaient l’habitude de faire de petits achats en ville, de sortir… Et le fait de se retrouver enfermés, même si elles vivent dans un grand établissement, chamboule toutes leurs habitudes. »
En tant que soignant que faites-vous pour gérer la situation ?
« Nous devons les accompagner du mieux que nous pouvons. Le risque serait que cette situation génère un sentiment d’abandon.
Nous cherchons donc, au quotidien, à écouter les résidents et à les rassurer. Chacun des salariés de l’établissement, quelle que soit sa fonction, a à cœur d’être présent au travail pour eux.
Ce que nous essayons de faire également, c’est de maintenir un lien entre les familles et les résidents qui le peuvent. Pour commencer, nous privilégions les contacts téléphoniques. Nous avons aussi équipé toutes les ailes d’hébergement de l’établissement de tablettes numériques sur lesquelles nous avons installé Skype, WhatsApp, etc. La difficulté, c’est que tous ne sont pas réceptifs à cette façon de communiquer et certaines familles ne sont pas habituées à utiliser ces outils. »
Avez-vous déjà noté des effets négatifs chez certains ?
« Ce que nous essayons de prévenir, c’est tout ce qui est de l’ordre du trouble émotionnel. Nous sommes également attentifs aux prémices d’affects dépressifs qui pourraient apparaître à moyen terme. Nous entrons dans la troisième semaine de confinement et nous commençons à observer des manifestations de tension, de frustration et d’anxiété.
Certains sont capables de le dire avec des mots : « Moi, le confinement, je le vis mal. J’ai besoin de voir ma famille et je ne peux pas la voir ». Alors, on essaye de leur expliquer ce qui se passe, en adaptant le discours aux possibilités de chacun. On les écoute, on les rassure sur le caractère temporaire du confinement.
Une difficulté supplémentaire concerne les résidents qui n’ont pas cette capacité de verbaliser leur ressenti et leur incompréhension, voire qui n’ont pas de langage. Ils constatent et ressentent que ce n’est plus comme d’habitude. Même les personnes n’ayant pas de repère dans le temps se rendent compte que leur quotidien et leur routine sont impactés.
Par exemple, un résident peut ne pas être en mesure de dire quel jour nous sommes, le mois, l’année, mais savoir que, normalement, là, c’est le jour où il devrait partir dans sa famille. Toutes ces situations de bouleversements peuvent légitimement générer du stress et de l’anxiété.
Il faut donc que nous, les professionnels, continuions à prendre soin de chaque résident, en leur apportant écoute, soutien et réconfort dans l’épreuve de confinement qui s’impose à tous.
Les professionnels du foyer, très mobilisés, maintiennent des temps d’activités, de mobilisation physique, de détente et de bien-être pour essayer de faire en sorte que les résidents n’atteignent pas un point de rupture et traversent au mieux cette crise. »
Le confinement complet est également une vraie difficulté pour vous…
« Complètement. Là encore, en tenant compte de la compréhension de chacun, on connaît l’incapacité pour certains résidents de rester confinés dans leur chambre de façon prolongée. Ce n’est pas possible, et il est hors de question de s’orienter vers de la contention. Ce serait vraiment inadapté, très anxiogène et à l’opposé de notre pratique professionnelle.
Certaines personnes sont en mesure de comprendre pourquoi on ne peut pas manger collé les uns aux autres, pourquoi on ne se sert plus la main comme avant, pourquoi on ne se fait pas de câlins, pourquoi il faut limiter les contacts au maximum.
Mais pour d’autres résidents, présentant une déficience intellectuelle profonde ou sévère, ces mesures n’ont aucun sens. Il n’y a pas de représentation cognitive derrière ces recommandations. Il faut donc faire preuve de souplesse et de bienveillance. Il ne faut pas s’offusquer de leur difficulté à respecter la règle et continuer à les accompagner en les protégeant et en faisant preuve de souplesse et de bienveillance comme nous le faisons habituellement. »
Propos recueillis par Laura Morel
Photos : Florian Salesse